ro_front_whiteComment gérer votre entreprise sans managers

Vous serez d’accord pour dire que nous vivons des temps de grands changements. Que ce soit sur le plan écologique, économique ou social. Ce que nous avons vécu jusqu’à présent, les manières de concevoir notre mode de vie, de travailler, de construire l’avenir est en pleine mutation. Et comme Einstein, l’avait dit : « on ne peut résoudre les problèmes d’aujourd’hui avec le même raisonnement qui nous a amené ces problèmes ». Par rapport aux défis que les entreprises d’aujourd’hui rencontrent avec un marché globalisé, des générations d’employés avec des besoins et des façons de concevoir le monde complètement différents, un nombre croissant de burnout et de maladies de longue durée, y aurait-il une autre manière d’organiser le travail dans les entreprises ? C’est ce que Frédéric Laloux, MBA et ancien consultant de McKinsey, propose aujourd’hui à travers son livre et sa conférence « Reinventing Organizations ».

Selon lui, il y aurait tout à fait moyen de gérer votre entreprise sans managers, grâce à des principes tout à fait nouveaux, de manière beaucoup plus participative. Le résultat est non seulement d’avoir des employés beaucoup plus motivés et engagés, mais également d’obtenir un chiffre d’affaire, un profit et une place sur le marché beaucoup plus élevés. Mais comment est-ce possible ? Voyons ici ensemble quelques-uns de ces principes :

Le retour de l’humain et de la relation au centre de tout

Alors que le management moderne nous a enseigné que le plus important pour faire fonctionner un business rentable c’est d’organiser les choses de manière rationnelle et rentable, il est fort probable que nous avons poussé ce modèle un peu trop loin. Nous le voyons aujourd’hui dans l’agriculture également. Si dans un premier temps on a pensé que organiser des champs plus grands avec un seul type de culture allait faciliter la tâche des agriculteurs et donner de plus grands rendements, on se rend compte que les sols s’appauvrissent, que le recours aux pesticides et engrais chimiques est de plus en plus nécessaire et que le processus de faire pousser de la nourriture devient de plus en plus dangereux pour l’homme qui y travaille ainsi que pour celui qui consomme cette nourriture. Dans le même sens, organiser le travail de manière mécanique et procédurier provoque le désengagement progressif des employés ainsi qu’une augmentation de leur stress dans les mêmes proportions que l’insatisfaction des clients.

Frédéric Laloux prend ici l’exemple de l’entreprise de soins à domicile Buurtzorg qui s’est développée aux Pays-Bas sur une constatation de ce déséquilibre. A force de réglementer et d’organiser le travail des infirmières à domicile sur des bons principes de management comme : minuter chaque soin et en fonction de cela établir des plannings de visite chronométrés, organiser les interventions par spécialisation et n’envoyer une personne expérimentée que si le soin le nécessite véritablement, chercher à augmenter le rendement pour pouvoir rester compétitif… L’insatisfaction des patients est devenue grandissante. De fait, au-delà d’un soin, le plus important pour une personne en souffrance, est la présence humaine. Le fait d’avoir régulièrement une infirmière différente en fonction des soins à prodiguer ainsi qu’un minutage à respecter détruisait la relation et mettait finalement en difficulté le patient mais également l’infirmière qui devenait elle-même de plus en plus mécanique.

Buurtzorg s’est créé sur ce constat et propose de remettre en place une structure dans laquelle les infirmières vont investir du temps pour établir une relation personnelle avec leurs patients et prendre le temps de les connaître en prenant le café avec elles par exemple. Fini les rotations de personnel et l’application de soins de manière robotique. Le patient se sent mieux et l’infirmière retrouve de la joie à exercer son métier.

Vient bien sûr à ce moment la question de la rentabilité. Comment est-ce possible de maintenir un business rentable si le personnel prend le temps de parler avec ses patients ? Buurtzorg a constaté que la meilleure connaissance de ses patients permettait à l’infirmière notamment d’anticiper une grande partie des complications médicales qui nécessitaient des hospitalisations plus lourdes, et par conséquent, le coût financier et humain diminuait considérablement dans la durée. Cette situation aurait été impossible avec des infirmières qui se contentent d’administrer des soins prescrits sur un planning géré à distance. Aujourd’hui Buurtzorg a conquis 70% des parts de marché du soin à domicile en Hollande grâce à ce business model et est plus rentable que les anciens modes de fonctionnement.

Il faut ajouter également que, attirés par ce fonctionnement plus humain, les infirmiers et infirmières désertent les autres structures pour venir travailler chez Buurtzorg… Comme vous pouvez le voir, à force de pousser l’organisation et le management trop loin, l’humain en souffre, mais également les résultats financiers. C’est également intéressant de constater qu’il y a moyen de créer une entreprise rentable et performante en remettant la relation humaine au centre de tout.

Plus besoin de managers

Comme vous le savez, toute structure organisationnelle se base sur de multiples couches de management. Depuis l’employé de base qui effectue le travail jusqu’au CEO en passant par le team leader, le manager moyen, le directeur…Tout le monde le sait également, la grande partie du travail de ces couches de management est de « gérer » les personnes qui se trouvent en dessous. Dans un call center par exemple, la plupart des Team Leaders et Managers ne prennent à peu près jamais le téléphone. Leur temps est absorbé par la création de rapports, de plannings, de cartes de performance, d’entretiens de motivation…

Ce que Frédéric a pu observer dans les organisations qu’il a étudiées, c’est que, au lieu de mettre en place des couches de management pour gérer, surveiller et motiver les personnes qui travaillent en dessous, ils ont mis en place le self-management. Les niveaux de hiérarchie sont supprimés car les employés sont responsables et n’ont pas besoin d’être « surveillés ». Tout le monde s’engage dans la mission de l’entreprise et prend part aux différentes tâches. Les multiples couches de management ont bien sûr eu leur intérêt quand il s’agissait de produire à grande échelle dans un environnement plus lent et plus stable qu’aujourd’hui.

De nos jours, pour survivre, une entreprise se doit d’être créative, souple et en contact avec ses clients. Car ceux-ci peuvent choisir de rester chez vous ou de passer chez votre concurrent beaucoup plus vite que par le passé.

Une structure de management lourde rend le processus décisionnel beaucoup trop lent pour rester en contact avec ce qui se passe sur le marché. Nous en avions déjà parlé dans le principe de « décentraliser le commandement » dans notre article:

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Loin d’être l’anarchie, ces entreprises, comme Buurtzorg par exemple, fonctionnent tout de même très bien et arrivent à se développer jusqu’à parfois plusieurs milliers d’employés… De plus, le coût énorme que représentent les salaires de ces managers dont on n’a plus besoin permet également de rendre l’entreprise plus rentable. Construire une entreprise sans management intermédiaire ne se fait bien sûr pas sans une bonne série de stratégies nouvelles. Comme par exemple :

Processus décisionnel, tout le monde peut décider de tout

Alors que, dans une entreprise classique chaque personne a un rôle défini et des responsabilités spécifiques et ne peut prendre de décisions que dans ce périmètre clair, dans certaines de ces organisations nouvelles, chaque employé peut prendre une décision petite ou grande dans n’importe quel domaine. Aussi fou que cela paraisse, cela veut dire qu’un employé de la réception pourrait tout à fait prendre une décision concernant le renouvellement du parc automobile par exemple ou qu’un chef d’atelier pourrait décider d’un changement de la stratégie marketing… Mais comment cela est-il possible ?

Le processus décisionnel fonctionne selon le mode « Advice Process ». Cela veut dire que chaque personne qui veut prendre une décision, même tout à fait en dehors de son domaine d’expertise ou de responsabilité peut le faire mais après avoir consulté toutes les personnes qui seront impactées par le changement et toutes les personnes qui ont une expertise dans le domaine concerné. Le décisionnaire pourra alors prendre une décision après avoir consulté toutes ces personnes même si plusieurs ne sont pas de son avis.

Un des avantages non négligeable de cette technique est de supprimer définitivement toute possibilité de se plaindre. De fait, si quelque chose ne fonctionne pas, rien n’empêche une personne de prendre les choses en main pour la résoudre.

Communication non-violente et bienveillance

Vous l’aurez deviné, dans une organisation comme celle-là, la communication est encouragée et primordiale. La communication véritable doit prendre la place des luttes d’égos. Le respect de chacun doit prendre la place de la compétition et de la protection des intérêts personnels. Même s’il n’est pas toujours facile de faire la différence entre une communication basée sur l’égo et l’intérêt personnel et une communication basée sur une vérité plus grande et l’intérêt commun, avec un peu d’entrainement, c’est possible.

Le plus important est de créer et d’encourager cette culture au sein de votre entreprise. Si les comportements compétitifs (dans le mauvais sens du terme), individualistes et agressifs sont récompensés, alors la culture de l’entreprise s’installera dans ce sens. Si vous récompensez et encouragez les comportements d’humilité, de respect et de recherche du bien commun, alors c’est cette culture qui va prédominer.

Une suggestion basée sur une pratique qu’utilise la société Heiligenfeld qui gère 5 hôpitaux psychiatriques en Allemagne est d’utiliser des petites clochettes tibétaines en réunion à chaque fois qu’une conversation dégénère en conflit d’intérêts personnels ou d’égos. Une personne se désigne volontaire en début de réunion pour tenir les clochettes, et quand il sent que la communication n’est plus respectueuse, il les entrechoque. La conversation ne peut reprendre que quand le son s’est totalement estompé, laissant le temps à tous les participants de reprendre leur calme.

Une autre pratique peut également être de décider que rouler des yeux au ciel en signe de moquerie n’est plus accepté dans l’entreprise… Vous vous en rendez compte, il existe des multitudes de possibilités de rendre la communication plus respectueuse dans votre entreprise. Mais surtout, la mise en place de ce genre de techniques aura un impact important rapidement sur la qualité des relations interpersonnelles.

Bien entendu, plus un employé se sentira respecté et libre de s’exprimer, plus il aura envie de contribuer avec son temps, son énergie, sa créativité au devenir de son entreprise…

Un leadership participatif et transparent

Traditionnellement, dans beaucoup d’entreprises, les décisions importantes ou stratégiques sont prises au sommet, dans une certaine discrétion voir dans un certain secret, et sont ensuite communiquées vers le bas. Le rôle du comité de direction est donc de prendre les décisions, et celui des employés, de les accepter et de les mettre en oeuvre. Dans ce nouveau paradigme dont Frédéric Laloux parle, de nombreuses entreprises organisent maintenant des systèmes de consultation pour les décisions importantes.

Certains patrons peuvent donc, face à de grandes décisions, poster une vidéo ou un article sur l’intranet de l’entreprise et demander ce que les employés voudraient. La consultation peut être pour prendre une décision gauche, droite, oui ou non, mais également sur une question plus ouverte, comme : « comment pourrions-nous faire ? Evidemment, cela demande énormément d’humilité de la part du leadership. Admettre en tant que leader, qu’on ne sait pas ou que l’on est prêt à suivre ce que les employés veulent est extrêmement difficile pour beaucoup.

Par contre l’effet sur la motivation des employés est énorme. Au lieu de subir des décisions qui ne les agréent pas ou pour lesquelles ils n’ont pas été consultés, les employés sont acteurs et participants au devenir de leur entreprise. Un exemple extrême de cette consultation populaire a eu lieu dans la société française FAVI qui produisaient des boites de vitesses et possédaient 50% parts de marché en Europe. Pendant la guerre du golfe, la crise devenait trop importante et la logique habituelle aurait voulu que son directeur Jean-François Zobrist annonce le licenciement des intérimaires. Plutôt que de faire cela, il descendit dans l’usine, demanda que l’on arrête les machines et expliqua tout simplement qu’il ne savait pas quoi faire d’autre que de licencier une partie du personnel temporaire. « Avez-vous d’autres idées » demanda t’il… Après quelques minutes de discussion, un des employés proposa une réduction du temps de travail et de salaire de 25% pendant un mois pour tout le monde afin de pouvoir garder les intérimaires. Un autre employé demanda quelques minutes plus tard si tout le monde était d’accord, et la réponse fut positive. Cette mesure fut reconduite pendant quelques mois le temps de laisser passer la crise.

Comme le dit Simon Sinek, auteur du célèbre « Start with Why »

(voir notre article « 3 raisons de vérifier que votre entreprise a une raison d’être » ) l’entreprise peut être considérée comme une grande famille. « Si vous vivez un hiver un peu rude, allez-vous manger ou donner un de vos enfants ou un de vos oncles ? Désolés, nous devons nous séparer de toi, mais on garde les Mercedes de fonction ! »

Transparence et auto-détermination du salaire

Face à la difficile question de l’argent, la technique traditionnelle est de garder les salaires secrets et de laisser au manager le soin de décider de l’augmentation ou pas de ses employés après l’évaluation de fin d’année. Pour Chris Rufer de Morning Star, une société qui possède 70% du marché de la tomate aux USA et emploi entre 400 et 2,400 personnes par an, non seulement il n’y a pas besoin de managers, mais en plus, les employés déterminent eux-mêmes leur salaire et leurs augmentations.

Le principe est que le salaire de tout le monde est entièrement public, ainsi que les augmentations annuelles. Si un employé estime avoir bien travaillé et mériter une augmentation, il fait sa demande à un groupe de personnes de son entourage direct et ce groupe accepte ou n’accepte pas sa demande. Dans l’autre sens parfois, certaines personnes n’osant pas demander, c’est le groupe qui insiste pour octroyer une augmentation qui est estimée méritée par l’ensemble.

Dans ces conditions-là, si vous voulez revoir votre salaire à la hausse, vous avez intérêt à faire valoir vis à vis du groupe que vous le méritez. Il n’y a donc également plus de conflit entre managers et subordonnés sur les questions salariales ou les évaluations de fin d’année.

Face à un sujet aussi vaste et complexe que la transformation organisationnelle, vous vous rendrez compte que nous n’avons pu dans cet article que survoler quelques grands principes. Et même si tout ne vous paraît pas applicable dans votre entreprise, nous espérons que vous avez tout de même trouvé de l’inspiration pour améliorer certains de vos fonctionnements.

Cela demande évidemment de l’ouverture d’esprit, et une capacité à accueillir le changement. Accepter de changer n’est bien sûr pas facile, mais comme le disait Darwin : « ce ne sont pas les plus forts qui survivent, mais ceux plus enclins à accepter le changement. ». Et comme on peut le lire dans le Tao chinois : « Il n’y a qu’une seule chose qui ne change jamais, c’est que tout change tout le temps ».

Je pense que l’époque que nous vivons est le plus bel exemple de cette maxime. Pour en savoir plus sur le changement organisationnel que propose Frédérix Laloux, nous vous invitons évidemment à découvrir sa conférence dans son intégralité dans le lien ci-dessous :

A votre succès !

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Au plaisir de vous lire…!

Pierre-Yves Hittelet

écrit par Pierre-Yves Hittelet